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Une délicieuse histoire de quartier

Dernière mise à jour : il y a 4 jours

Marie Aline, journaliste culinaire, a mis en mots une histoire sensible et inspirante : celle d’une amitié née du goût du bon et de l’envie de s’engager dans l'aventure comestible. La rencontre entre une cheffe et une institutrice, dans un coin du 10e arrondissement de Paris, où les liens se tissent au fil des valeurs partagées et des actions concrètes.

"À l’angle de la rue Rampal et de la rue Général Lasalle, c’est la même danse tous les matins. Des parents au regard débraillé glissent vers Le Poulpe et s’attablent pour un café salvateur devant le sourire de Kamel. Ça échange quelques mots assoupis avant de partir en blague au fur et à mesure que la caféine infuse les esprits. Parfois, ça établit même des plans, ça partage des envies, des informations. Des mots magiques s’énoncent : « école comestible ». Une école qui se mange, quelle bonne idée ! On n’est pas réveillé mais tout de suite ça donne faim. Une maman explique à d’autres : pour que nos enfants comprennent l’importance du mieux manger, il faut juste trouver un prof et un chef, les aider à organiser des ateliers conçus par cette association. On est à Belleville, les restos ne manquent pas, les bonnes volontés non plus. Le bruit commence à courir dans les rues du quartier.


Aurélie, elle n’a pas le temps pour le café des parents qui s’étire, elle est instit. Elle arrive avant les autres, pousse la porte de l’école primaire Rampal, la paupière bien remontée. L’esprit toujours alerte, elle prépare sa classe pour la journée. Elle adore son boulot. Quand elle en parle, on dirait une cascade. Elle a toujours mille projets et jamais assez de temps pour les mettre en œuvre. Depuis 2002, elle enchaîne les correspondances entre élèves et retraités en Ephad, le théâtre, l’écriture d’un bouquin, d’un journal, des faux voyages découvertes quand elle n’obtient pas les budgets pour en faire des vrais. Cette fille issue du milieu ouvrier aime quand les mondes se rencontrent, quand le culturel allume des étincelles dans les yeux de ses élèves qui ne sont pas toujours habitués à aller au théâtre. Bosser en REP (réseau d’éducation prioritaire), c’est la base pour elle. 


Aurélie donc, n’a pas le temps de boire le café le matin avec les autres parents. En revanche, elle adore papoter à la sortie de l’école. Et aucun bruit qui court dans les rues de Belleville ne lui échappe. Elle chope les mots magiques, à la volée, dans la bouche d’une maman qui aimerait s’investir dans L’école comestible. Elle a trouvé la cheffe motivée mais n’a pas encore l’instit. Aurélie : « Oh justement, je voulais m’inscrire à la semaine du goût mais c’est trop tard, du coup je me suis dit que j’allais bricoler un truc pour que les enfants apprennent des choses autour de l’alimentation pendant cette semaine-là. Si tu connais une cheffe partante, je l’accueille dans ma classe ! ». Sourires partagées, accolades. Il suffit juste de monter la rue du Général Lasalle, tourner à gauche, et là au pied de la rue Pradier, il y a Léa qui turbine dans les cuisines du Cadoret.


Les présentations ne durent pas longtemps. Les deux femmes n’ont pas le temps et de toute façon elles parlent très vite toutes les deux. Elles se comprennent sans même avoir fini leurs phrases, se tapent dans la main et s’engagent l’une avec l’autre. 


Nouveaux sourires partagés, nouvelles accolades. Très vite, vu qu’elles parlent comme des fusées, elles se disent les mots magiques. Léa a déjà animé des ateliers pour L’école comestible, mais c’était à Boulogne, loin de chez elle, loin du Cadoret, loin de son quartier. Et avec son frère, Louison, ils ont ouvert ce café-restaurant pour que les gens de Belleville s’y pose comme à la maison. De 8h du matin jusque tard le soir toute la faune du coin passe. Ici aussi il y a des parents aux yeux embrumés qui débarquent après avoir déposé les enfants à l’école. Qui un espresso, qui un bon thé ou plus tard une limonade, un demi, ou à midi un menu du jour excellent, des pommes dauphines mythiques et le soir du raffinement joyeux, bref, tout ce qui fait une vie.


Léa, donc, est familière des fiches techniques délivrées par l’association, du protocole à suivre, de l’orga à mettre en place : quelqu’un qui connaît la cuisine, quelqu’un qui connaît les enfants et quatre intervenants bénévoles de l’association qui viennent aider dans la classe. Mais elle ne connaît pas la pédagogie. Cette fille d’institutrice se demande à partir de quel âge un enfant peut comprendre l’importance de l’alimentation durable, comment lui transmettre la nécessité de ne pas gaspiller, la magie des réactions chimiques qui font le bon goût d’un plat.


Aurélie sourit, encore. Ça lui plaît (on a oublié de dire à quel point elle était gourmande et aimait découvrir les bons restos du moment). Elle veut foncer mais elle propose qu’on fasse ça en mode « quartier » : les intervenants seront les parents d’élèves et toutes les sorties auront lieu à Belleville. On pense local. 


En quelques semaines les nouvelles acolytes préparent leur première intervention. Il y aura quatre à cinq ateliers dans l’année. Le premier sera une visite du Cadoret pour que les enfants comprennent tout de suite d’où vient Léa. Et ensuite, on s’intéressera à la cuisine anti-gaspi, à la fermentation, aux saisons. On ira faire le marché aussi. Et pour fêter la fin de l’année, un grand pique-nique aux Buttes-Chaumont avec les élèves et les parents. Tout se passe à moins de 500m de l’école. 


Une année, deux années, trois années, quatre années défilent. Aurélie passe au resto au moins une fois par semaine, juste pour faire coucou, déposer un petit cadeau. Des parents viennent dîner au Cadoret. Des élèves qui sont maintenant au collège s’y arrête pour papoter avec Léa. Le café joue son rôle à plein. C’est un carrefour. Léa aime ça. Aurélie aussi. Elles ont réalisé le rêve de l’une et de l’autre. Ces ateliers donnent du sens au travail de Léa. Elle dit que ça lui a permis de mettre encore plus de cœur dans son métier. Aurélie, elle, touche un monde qui l’a toujours passionnée. Le soir où elles ont cuisiné ensemble pour le grand dîner anniversaire de L’école comestible en 2024, leurs yeux pétillaient de concert. 


Aujourd’hui, Le Cadoret ferme. Aurélie n’y passera plus toutes les semaines. Mais les ateliers vont continuer, sans la visite du resto pour inaugurer l’année. Et surtout Léa, portée par quatre ans d’une collaboration hyper nourrissante, réfléchit son métier autrement. Elle aimerait s’engager dans l’alimentation auprès des collectivités, penser à la communauté au sens large : élargir les frontières du quartier, en somme."


Marie Aline

Aurélie et Léa par ©Julie Vandal
Aurélie et Léa par ©Julie Vandal

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